top of page

Jaguar fait un reset : une leçon sur le danger du blanding

  • amelie-tessier
  • 27 nov. 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 nov. 2024

« Oh fuck, Jaguar, what have you done? », comme l’a si bien formulé La Réclame, reflète le sentiment général face à cette transformation radicale. Jaguar a officiellement tourné la page en abandonnant son félin fétiche, symbole emblématique de son identité visuelle, au profit d’une nouvelle image de marque audacieuse et en totale rupture. Pour les passionnés d’histoire automobile, cette refonte graphique est une véritable claque, une décision qui pousse à s’asseoir pour digérer la nouvelle. Quant aux brand designers, c’est un cas d’école à analyser : un exemple frappant de blanding où la simplicité épurée fait table rase du patrimoine visuel d’une marque iconique.




Jaguar l'incarnation du luxe et l'élégance à l'anglaise


Depuis ses débuts, Jaguar a cultivé une image de raffinement et de performance. Le logo historique, surnommé le leaper, représente un jaguar bondissant. Symbole d’agilité, de puissance et de mouvement, ce félin orne les capots des voitures Jaguar depuis près de 80 ans. L’identité visuelle de la marque s’est toujours appuyée sur cette dualité entre élégance britannique et innovation.


Avec des modèles emblématiques comme la E-Type et la XJ, Jaguar a façonné l’histoire de l’automobile, devenant un modèle de référence pour les amateurs de voitures de luxe.



Depuis quelques années, Jaguar traverse une période difficile. En 2018, la marque atteignait un pic avec plus de 180 000 ventes annuelles dans le monde. Mais en 2023, ce chiffre est tombé à 64 000, soit une chute de plus des deux tiers en seulement cinq ans. Ces résultats en berne ont contraint Jaguar à repenser complètement sa stratégie.

Pour marquer ce virage, la marque a pris une décision radicale : arrêter la production de nouvelles voitures pendant un an, une pause prévue fin 2024. Cet arrêt temporaire, selon les annonces faites au Royaume-Uni, vise à permettre un retour en force, avec une gamme entièrement repensée et alignée sur ses ambitions pour l’avenir.




Jaguar en pleine crise identitaire ?


En prenant le temps de s’arrêter sur ce logo, on constate qu’il n’est pas « moche » en soi. La typographie, avec son mélange de majuscules et de minuscules, offre un équilibre visuel intéressant. Ce design s’inscrit pleinement dans la tendance du flat design, privilégiant simplicité et clarté. Les couleurs vives viennent contrebalancer la sobriété de la forme, apportant une touche de dynamisme à cet ensemble épuré.


Le symbole du double "J" géométrique a pris la place de notre célèbre félin qui pour le peu de fois qu'on le voit, reste beaucoup moins lisible. Il est souvent représenté en négatif sur des lignes comme sur la photo ci-dessous. On note toutefois que le jaguar est tourné vers la droite, l'avenir, ce qui semble plus logique par rapport à l'ancien logo.


Un détail m’a également interpellé : la forme des lettres. Toutes adoptent des courbes rondes et fluides, sauf le « A », qui présente une cassure marquée. Contrairement au « R » ou au « G », qui restent dans cette logique arrondie, cette dissonance graphique crée une incohérence subtile. Dans le cadre d’une marque de luxe, où chaque élément doit refléter perfection et harmonie, ce type de détail peut brouiller la perception d’excellence que la marque souhaite transmettre.





Avec cette transformation, le logo de Jaguar semble manquer de puissance. Il évoque davantage une identité visuelle propre à une start-up tech des débuts des années 2000 ou à un produit bon marché qu’à une marque automobile de luxe emblématique. Ce style, qui se rapproche davantage du design de Smart, ne semble ni flatteur ni en phase avec les attentes d’une clientèle haut de gamme.


Cette transformation visuelle s’aligne sur une stratégie ambitieuse : devenir un constructeur 100 % électrique d’ici 2026. Pourtant, dans la vidéo de lancement, un détail interpelle : aucune voiture n’y est présentée. Ce choix est audacieux. Jaguar a mis l’accent sur l’environnement de marque, en construisant une ambiance artistique et abstraite, plutôt que de montrer ses produits. Si l’intention est louable, cette démarche semble avoir poussé le côté créatif à l’extrême, rendant sa vidéo de lancement trop abstraite, peu compréhensible et reléguant les voitures – le cœur de la marque – au second plan.




Une nouvelle image de marque qui se transforme en fail ?


Mais alors, que s'est-il passé ? Qu'ont pensé l'agence et les équipes marketing lorsqu'ils ont validé ce nouveau design ? De mon côté, je pense avoir la réponse. Jaguar est une marque vieillissante. En effet, sa cible principale est constituée de personnes âgées, riches, qui apprécient le luxe associé à la tradition. Or, cette cible est désormais presque inexistante. Pour garantir sa pérennité, la marque a voulu se réinventer afin de cibler une jeunesse digitalisée, avide de se différencier. Sur ce point, on peut dire que cette nouvelle image de marque a touché dans le mille.




Cependant, ce choix esthétique n’est pas sans controverse. Certains passionnés dénoncent une perte de caractère au profit d’une approche trop générique. La question demeure : est-ce une évolution visionnaire ou une soumission aux tendances globales ?




Le phénomène du blanding : menace ou opportunité ?


Le blanding désigne la tendance des marques à simplifier leurs identités visuelles jusqu’à les rendre génériques. Ce mouvement repose souvent sur des principes de minimalisme et d’universalité : des logos épurés, des typographies sans fioritures et des couleurs neutres. Si cette approche facilite l’utilisation numérique et renforce la cohérence visuelle, elle rend aussi les marques moins uniques et moins reconnaissable selon leurs secteurs. Par exemple le symbole double J de Jaguar pourrait très bien fonctionner sur une devanture d'hôtel ou de boulangerie.


Ce phénomène s’étend rapidement dans de nombreux secteurs, de la mode (Burberry, Balmain) à l’automobile (BMW, Audi) en passant par la tech (Google, Airbnb). Jaguar rejoint cette vague, abandonnant son icône historique pour se concentrer sur un design plus fonctionnel.

Cette uniformisation est souvent justifiée par la nécessité d’être "digital-first". Les marques doivent fonctionner aussi bien sur des écrans de smartphones que sur des panneaux publicitaires. Cette quête de neutralité graphique vise à maximiser l’impact dans un monde saturé d’images.





Malgré ses avantages pratiques, le blanding comporte des risques. En réduisant leur identité visuelle à sa plus simple expression, les marques perdent souvent ce qui les rendait reconnaissables. Le lien émotionnel avec les consommateurs peut s’affaiblir. Jaguar, par exemple, risque de se fondre dans une mer de logos génériques, où l’on peine à distinguer l’unicité de chaque acteur.


Pour les graphistes, cette tendance pose une question éthique : comment créer un design simple mais mémorable ? L’esthétique minimaliste doit-elle nécessairement sacrifier l’originalité ?




entre innovation et perte d’authenticité


La transformation de Jaguar illustre parfaitement le dilemme auquel font face de nombreuses marques aujourd’hui. D’un côté, le choix de moderniser son image est un impératif pour rester pertinent dans un monde en évolution rapide. De l’autre, cette simplification peut entraîner une perte de profondeur et d’authenticité culturelle.


En tant que graphiste, je vois dans ce débat une opportunité de repenser les bases du design. Peut-on concilier modernité et héritage, simplicité et singularité ? Jaguar a fait un pari audacieux : seul le temps dira si ce choix renforcera sa pertinence ou sacrifiera son âme sur l’autel de la modernité.



Rédigé par Amélie Design Studio

Comments


A propos

Créations designs

Contact

  • Instagram
  • LinkedIn

Branding

Brand mark Vert.png

©2023 Amélie Design Studio 

bottom of page